avant 1996 Les mouvements précurseurs

Si les vingt dernières années auront marqué profondément l’opinion publique quant à la prise de conscience de la nécessité de protéger l’environnement, les préoccupations environnementales ont été, d’une certaine façon, présentes dans l’espace public montréalais depuis déjà plus d’un siècle. D’autres avant nous y auront été sensibles à leur manière. Bref retour, non exhaustif, sur un passé pas si lointain.

À l’origine, ces préoccupations environnementales se résumaient souvent à donner accès aux populations urbaines, notamment aux classes laborieuses, à de grands espaces verts pour la détente, les promenades des beaux dimanches et comme bouffée d’air pur dans une ville passablement polluée. Dès le 19e siècle, en effet, les autorités publiques créent les premiers grands parcs urbains à Montréal : le parc de l’île Ste-Hélène en 1874; le parc du Mont-Royal en 1876. Ces parcs sont considérés comme étant les plus anciennes aires protégées du Québec. C’est également en 1874 que l’ancêtre de l’actuel parc La Fontaine voit le jour. Tout le 20e siècle sera ainsi jalonné de la réhabilitation en espaces verts urbains d’anciennes carrières de pierre désaffectées ou de fermes abandonnées.

Les dernières décennies du 20e siècle seront elles aussi marquées par une deuxième période active de création de grands parcs sur l’île de Montréal par la Communauté urbaine de Montréal (CUM) sous l’impulsion des conseillers municipaux Hubert Simard et André Lavallée du Rassemblement des citoyens et citoyennes de Montréal : le parc-nature de l’Île-de-la-Visitation; le parc-nature de l’Anse-à-l’Orme; le parc régional de la Pointe-aux-Prairies; le parc-nature de Saraguay; le parc-nature du Cap-Saint-Jacques; la Promenade Bellerive; le parc-nature du Bois-de-Liesse, etc. Déjà toutefois, la perception des enjeux a changé, on les appelle dorénavant parcs-nature. Aux objectifs qui avaient présidé à la création des premiers grands parcs urbains s’ajoutent de nouvelles sensibilités, soit l’urgence de préserver les dernières aires naturelles encore «vierges» dans un contexte d’urbanisation galopante.

Les glorieuses auront été, pour l’agglomération urbaine de Montréal comme pour la majorité des villes nord-américaines, les années de la désertion des villes centres par les classes moyennes au profit des banlieues, celles de l’étalement urbain et du tout à l’automobile, avec la construction d’autoroutes urbaines et des énormes échangeurs comme Turcot et celui aujourd’hui heureusement disparu, Des Pins-Du Parc. Avec les années 1970, se forme dans les quartiers populaires de Montréal, en réaction à ce phénomène, une prise de conscience de plus en plus vive des enjeux urbains en relation avec les réalités sociales des populations les plus vulnérables : c’est le Montréal des «petites patries» de Jacques Couture. Ce sont aussi les batailles pour sauver de la démolition les résidences du quartier Milton Parc, batailles menées entre autres par Dimitri Roussopoulos, avec l’appui de l’architecte Phyllis Lambert, luttes qui vont donner naissance au mouvement des coopératives d’habitation.

On y parle moins d’environnement comme tel que de vie de quartier et d’urbanisme. Les regroupements populaires y sont actifs et revendicateurs : luttes contre la fermeture des usines et leur remplacement par des condos de luxe; luttes contre la gentrification des quartiers au détriment des populations défavorisées; luttes contre la destruction du bâti ancien au profit de grands spéculateurs; luttes contre la perte des parcs de proximité; promotion du transport public et d’un urbanisme à échelle humaine. C’est aussi en réponse à ces nouvelles problématiques, que le mouvement en faveur des coopératives d’habitation prend de l’expansion avec la Fédération des coopératives d’habitation intermunicipale du Montréal métropolitain (FÉCHIMM). C’est dans cette foulée qu’est créé en 1974 le Rassemblement des citoyens et citoyennes de Montréal (RCM) qui devient la voix politique de ces diverses revendications. L’environnement n’est pas pour autant totalement absent de ces débats : Bruce Walker crée le mouvement STOP et Daniel Greene préside la Société pour vaincre la pollution (SVP). On y fait la promotion, notamment de la préservation des berges du fleuve.

L’année 1984 marquera un tournant décisif. Véritable coup de tonnerre dans le paysage urbanistique et politique montréalais, les milieux universitaires, les milieux d’affaires sous l’égide de la Chambre de commerce de Montréal, et sous le leadership d’Héritage Montréal, avec Dinu Bombaru et Phyllis Lambert, forcent l’Administration Drapeau à renoncer au projet de la firme Cadillac Fairview de construire un grand mail commercial sur l’avenue McGill College, construction qui aurait définitivement caché la vue sur la montagne à partir du centre-ville. Pour la première fois, les divers acteurs de la société civile font front commun et prennent conscience ensemble de la nécessité de doter Montréal d’une approche moderne et intégrée d’aménagement qui en préserve les grands atouts naturels : la montagne, les berges du fleuve, etc. L’organisme Les Amis de la Montagne naît en 1985 suite à cette mobilisation.

Le RCM, avec Jean Doré à sa tête, issu des groupes populaires et soutenu tant par les centrales syndicales que par la Chambre de commerce de Montréal, va présider durant huit ans à partir de 1986 à de profondes transformations de l’appareil municipal et prendre de multiples initiatives tant en matière d’urbanisme, de participation citoyenne que de développement durable.

On assistera alors à la création des conseils d’arrondissements; à l’élaboration, quartier par quartier, avec la participation des citoyens, du premier Plan d’urbanisme; à la création du Bureau de consultation de Montréal sous la direction de Luc Ouimet; au réaménagement du Vieux-Port; à la création de la plage publique de l’île Notre-Dame. Le Centre de commerce mondial et la Maison Alcan font consensus comme initiatives exemplaires en matière de préservation du patrimoine bâti. L’incinérateur des Carrières sera fermé. La cimenterie Miron le sera également, puis acquise en vue d’une réhabilitation progressive en un nouveau grand parc urbain. Celui-ci viendra compléter le réseau développé dans le cadre de la Communauté urbaine de Montréal (CUM) sous l’impulsion de l’Administration de Montréal. Les Corporations de développement économique et communautaire (CDEC) voient le jour. En 1984, la Station d’épuration des eaux usées de Montréal entre en opération. Elle traitera les eaux de l’ensemble de l’île de Montréal à partir de 1996.

En matière de transport urbain, il y avait eu évidemment le choc salutaire créé par l’arrivée du métro à la veille de l’Expo 67 (mais aussi l’abandon malheureux du tramway); puis la création de la première piste cyclable; la création du Tour de l’Île sous l’impulsion de Vélo-Québec et de militants comme Claire Morissette et Bob Silverman. En 1991, le gouvernement du Québec retire son appui financier à l’exploitation du transport public. Le RCM convainc alors les maires de la banlieue de soutenir le plan de relance de la STCUM. Les premières voies réservées pour autobus sont mises en opération sur les boulevards Pie IX, Du Parc, Henri-Bourassa et Crémazie; le Conseil métropolitain du transport (ancêtre de l’Agence métropolitaine des transports) est créé, les villes de Longueuil et de Laval en faisant désormais partie; le réseau des trains de banlieue se réorganise et l’accès aux trois réseaux de transport en commun est facilité grâce à un nouveau tarif régional. Le tout non sans quelques batailles épiques.

Avec les années 1990, un nouveau chapitre va s’ouvrir. Les enjeux plus strictement urbanistiques s’estompent pour faire place à de nouvelles sensibilités nées d’une nouvelle prise de conscience d’un monde en profonde mutation où les défis environnementaux et ceux du développement durable deviennent de plus en plus évidents, urgents, et surtout globaux. Du quartier, on passe rapidement à la planète. Jean Doré représente en 1992 les maires des grandes villes du Canada à la Conférence de Rio; le protocole de Kyoto suivra en 1997.

La nouvelle administration de Montréal, avec Pierre Bourque à la mairie, encourage à compter de 1995 la création des éco-quartiers. C’est aussi l’arrivée des Quartiers en santé et des Tables de quartiers. La société civile s’active autour des enjeux environnementaux, Équiterre est créé en 1993. Beaucoup d’autres suivront comme Vivre en ville, le Centre d’écologie urbaine de Montréal, et bien sûr le Conseil régional de l’environnement de Montréal (CRE-Montréal) en 1996.

Robert Perreault
Ancien Directeur général du CRE-Montréal

La ligne du temps continue

Cette ligne du temps se veut une construction collective afin qu’elle reflète le plus fidèlement possible l’évolution historique des projets environnementaux montréalais. Elle se construit en continu avec vos connaissances et votre participation. Si vous constatez l’absence d’un dossier, d’un projet ou d’une action qui a marqué le paysage montréalais en matière d’environnement depuis 1996, nous vous invitons à nous le faire savoir.